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Friends Collection

André Martheleur



André Martheleur a eu plusieurs vies.
Et dans chacune de ses vies, il a noué de nombreuses amitiés qu’il n’a cessé d’entretenir au fil du temps, de façon singulière et attentionnée.
Jean Martheleur est né le 15 juillet 1941 à Charleroi, Belgique. Arrivé à l’âge de 22 ans à Montréal avec dix-sept dollars, une paire de ciseaux et quelques disques dans ses bagages, dont Misterioso de Thelonious Monk, il s’installe dès janvier 1964 à New York. Ici, il prend son second prénom André, Jean étant féminin aux États-Unis. Employé dans le salon de Monsieur Marc sur Madison Avenue, tenu par un confrère belge, André se fait remarquer pour son originalité par la clientèle huppée qui le fréquente. En 1969, il décide alors de monter avec une associée, Francine, le salon de coiffure Cinandré situé au 21 East - 57ème rue, entre la 5ème avenue et Madison. C’est un défi, et une provocation, d’oser installer un tel lieu dans la rue qui comptait à l’époque les plus prestigieuses galeries d’art de New York ; et c’est un succès fulgurant. Très vite André ouvrira seul un salon immense sur quatre étages, au 11 East de la même rue. De nombreux coiffeurs toujours en activité y feront leurs armes. Devenu le favori des magazines de mode, le New York Times écrira de lui en septembre 1977 : « Andre Martheleur of Cinandré, the hair salon many experts consider to be the most innovative in the country ».


Lassé du monde de la mode qu’il ne cesse de provoquer et qui le lui pardonnera de moins en moins, toujours audacieux et radical dans son approche de la coiffure dont il commence toutefois à se désintéresser, le salon ferme au tout début de l’année 1983. Il décide alors de se consacrer entièrement à la photographie, appréciée depuis longtemps (Eugène Atget, Walker Evans, André Kertész) et pratiquée depuis quelques années déjà. Il vivra désormais au jour le jour, grâce aux coupes de cheveux pratiquées sur le reste de sa fidèle clientèle qui accepte encore de monter les 4 étages et s’asseoir dans la cuisine de son petit appartement situé dans le sud de Manhattan, 228 Mott Street, et à la générosité de ses nombreux amis.
Durant plus de trente ans, il va arpenter quasiment quotidiennement les rues de New York et photographier la ville, devenue son atelier. Après avoir délaissé le Noir & Blanc et le Réflex de ses premières images, ses diapositives seront désormais en couleur souvent saturées, et prises sur film lent au Leica, objectif 35  mm, instrument qu’il avait dans sa poche en permanence dans ses lentes et inspirées marches zen, et qu’il sortait soudainement pour saisir une photo que son œil avait d’abord composé.
Il ne fera que quatre expositions de son vivant. Une à Bruxelles en 1986 au Carré d’Art, une au Japon en 1991 à la Gallery Face, puis une à New York en 1992, la dernière à la Janos Gat Gallery toujours à New York, du 25 novembre au 31 décembre 2003 (Urbans Photographs). L’expérience de l’exposition ne lui convenait pas, disait-il. Sa déception envers les systèmes, celui de la mode puis celui des galeries et des agents d’art qui ne l’ont pas accueilli et parasitaient en somme sa pratique d’une photographie conçue comme une discipline spirituelle et un art quotidien d’être vivant, a fait qu’il n’a plus cherché de reconnaissance publique de son vivant. Mais il n’a cessé de montrer ses photographies à quelques ami.e.s de passage, qu’il imprimait généralement en format carte postale sur fond blanc, l’image en son centre cerclé d’un petit liserai noir caractéristique des diapositives. Il épinglait les photographies sur un bout de mur de sa cuisine recouvert à cet endroit de feuilles de liège, avant de les classer pour généralement ne plus les regarder. À ses amitiés éloignées, il envoyait régulièrement des photographies par la poste, entretenant ainsi la relation, partageant sa vision.

André Martheleur est décédé en 2010 d’un second cancer qu’il avait choisi de ne pas soigner, laissant une œuvre considérable confiée à quelques proches, demeurée inédite à ce jour. Elle couvre donc plus de trente ans de photographies urbaines à New York principalement, ce qui en fait un témoin singulier de ce lieu, de cette époque et de ses transformations.

L’ouvrage Friends Collection regroupe un ensemble de photographies qu’André Martheleur a vendu, donné ou envoyé à des amis de France, notamment à Saint-Étienne où il venait régulièrement. Tout au long de son existence, si ses vies privées furent compliquées, il n’a cessé de chérir et d’initier de nouvelles amitiés, et à nombre de celles et ceux qui l’ont côtoyé, il a aidé à ouvrir le regard. Souvent, il envoyait ses photographies sous la forme de cartes postales, sur lesquelles il reste les traces de la poste faisant foi, accompagnées de peu de mots ; parfois, il faisait des tirages un peu plus grands.
Ce sont donc quelques ami.e.s français.es d’André Martheleur qui ont accepté de rassembler les photographies qu’ils avaient de lui, afin de constituer quatorze ans après sa mort ce livre souvenir. Friends Collection vient un peu combler la quasi-absence à ce jour, quel que soit le support, de traces publiques du travail d’André Martheleur. Reste donc à faire une
véritable étude approfondie de son travail photographique, gardé précieusement par ses enfants dans une réserve située dans le New-Jersey.

                                                              André Zohou

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