Face à une œuvre de Francine Zubeil, vous êtes tenté de croire que vous n’y voyez rien.
D’abord le noir des tirages numériques, profond, puissant et qui menace de tout gagner.
Puis l’image hors d’échelle ou fragmentaire, dupliquée, découpée, masquée, tramée ou froissée et d’où s’absente la figuration, pas la figure. Car souvent, le corps est là, si intense qu’il mérite de ne pas fondre dans la représentation mais de témoigner, en éclats, de son frémissement au monde.
Enfin le choix des mots, ambidextres, à claire-voie, essentiellement doubles ou lovés sur eux mêmes, comme ce « close » étranger, si fermé et si proche à la fois. Ou « la passion de l’oubli » qui soutient, dans le pli de la langue, le paradoxe des émotions.
Parfois, un seul mot suffit, comme un signal : Color pour le jaillissement des aquarelles sur carte à gratter noire, un jardin de signes simples comme des trésors ; ou Solitude pour la mise en garde de Koltès : « … mais ne me demandez pas de devenir votre désir », associée à des empreintes - ces textures, cette peau du geste sur le papier.
Mots-images d’un art essentiellement non stratégique mais expérimental et en quête de révélation : « dans le secret de moi-même à moi-même secret », murmure-t-elle avec Dora Maar. Pour approcher l’énigme, il faut y travailler. Alors Francine Zubeil saisit une image, l’isole ou la confronte à d’autres objets trouvés et la passe en machine, encore et encore, réduit ou démultiplie, associe, juxtapose, considère, et retourne broyer son chocolat jusqu’à ce que l’évidence s’impose au sein du provisoire - état final. Rien à voir avec un concept moteur, un contrat préalable, une idéologie formelle. Mais tout à expérimenter, à vivre dans sa fabrique sensible, un nom qui lui va si bien et dit tant sa façon de procéder. Par étapes et par états. En cheminant dans le processus des métamorphoses, en arrivant ailleurs sans prévoir comment mais en sachant soudain.
Vous étiez donc tentés de n’y rien voir, juste de vous laisser gagner par l’alchimie du sombre lumineux qui rapproche ces photographies de la gravure ou de la sérigraphie.
Mais certains détails insolites, certaines ombres à déchiffrer vous poussent, vous aussi, à travailler du regard, à contempler encore, à vous laisser aller à une quête émotive qui ne tient qu’à vous.
La présence, le désir, la mémoire sont choses mystérieuses, volatiles, vous soupçonnez que l’œuvre de Francine Zubeil ouvre un passage, une voie de sensations.
Ce n’est sans doute pas un hasard enfin si elle entre en résonance avec le dernier film de Godard, tout de transformations d’image, où l’on entend qu’il s’agit de « penser avec ses mains ».
C’est ce que fait l’artiste.
A nous, les yeux pour songer.
Christine Rodès
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